Clarisse était allongée sur le sol. La moquette réchauffait son ventre et séchait ses larmes. Elle essayait de se concentrer sur ce morceau de moquette qui lui tenait chaud, qui la réconfortait, qui l’enveloppait ! De ce côté-ci, les choses paraissaient bien, moins cruelles, moins violentes. Elle s’y sentait en paix. Sa joue gauche s’enfonçait dans ce sol savoureux. Elle avait choisi cette moquette pour sa douceur, quand elle marchait pieds nus dessus et pour sa couleur pêche délicate.
Aujourd’hui, elle était tâchée, mais la douceur était identique. Des taches rouge carmin la parsemaient. Comment arrivera-t-elle à les faire disparaître ? Il faudra acheter un bon détachant, et frotter longtemps. Elle ne voulait pas gâcher un si joli sol. Il allait tellement bien avec le salon. Elle aimait son salon.
Son esprit vagabondait pour oublier ce supplice, cette douleur qu’elle ressentait, ces violences qu’elles subissaient. Et elle y arrivait quelque peu. L’espace de quelques secondes, elle oubliait tout pour se concentrer sur quelque chose de plus tendre.
Son mari, à califourchon sur le bas de ses reins, continuait de lui asséner des coups de poings dans le visage, dans les côtes. Par moment, il lui tirait les cheveux pour qu’elle le regarde droit dans les yeux quand il la traitait de « salope », « putain », « garce », « bonne à rien »…
Le sang coulait de ses tempes et de ses lèvres, ça coulait sur la belle moquette. Il faudrait qu’elle achète une brosse pour nettoyer les tâches, sinon Marc la traiterai encore de fainéante si les traces de sang ne disparaissaient pas. Et si la famille et les amis les découvraient ces tâches, qu’en penseraient-ils ? Que Clarisse n’est pas une bonne ménagère ? Qu’elle laisse son intérieur sale ? Non, elle ne voulait pas qu’on pense cela d’elle. Cet après-midi, après la trempe que Marc était en train de lui donner, elle irait acheter une brosse et du détachant. Elle irait à la supérette en bas de la rue. Avec ses lunettes noires, un bon coup de fond de teint et personne ne verrait rien.
Elle avait réussi à ne pas ressentir la douleur le temps de réfléchir quel détachant elle achèterait, c’est toujours quelques minutes de gagnées. Le temps passe plus vite comme ça, n’est-ce-pas ? Parce que quand-même, son dos lui faisait mal, et Marc était lourd sur ses reins. Il était musclé et la chevalière à sa main droite lui laissait des cicatrices douloureuses sur le corps. Il avait réussi à déchirer son beau chemisier à force de la ruer de coup. Encore un qu’elle devrait raccommoder. Encore des fils et des aiguilles à utiliser, elle se piquerait les doigts comme à chaque fois qu’elle rapiéçait ses vêtements.
Soudain, elle fût tirée de sa rêverie. Elle n’avait plus mal, ne sentait plus ces quatre-vingt-quinze kilos sur le dos, ni la chevalière qui avait l’odeur du fer, du sang. Que se passait-il, Marc s’était levé ? Il avait déjà fini, ou plutôt enfin terminé ? Elle tenta de se redresser, doucement, car quand même, elle souffrait de ces coups, et avait peur de reprendre une tombée de Marc.
Elle se mit à genoux, délicatement, son dos la tirait. Elle essuya ses lèvres du revers de la main. Regarda l’étendu des tâches qui souillaient le sol. Et à côté, elle vit Marc, qui gisait sur le dos, la bouche ouverte, les yeux ouverts qui ne bougeaient plus. Mais qu’avait-il donc ?
Elle s’approchait, lentement de son visage. Plus de souffle. Rien. Aucune respiration. Était-il mort ? Il faut croire. Elle vérifiait quand même le pouls, pour être certaine. Rien. Elle pencha sa tête, et colla son oreille sur son large torse. Rien. Marc était bien mort. Crise cardiaque ? Sans doute.
Il faudra qu’elle aille acheter une nouvelle moquette.
à 18 h 15 min
Je trouve ton texte magnifique, très réaliste dans sa cruauté et sa simplicité. C’est terrible et en même temps libérateur de pouvoir penser à une chose aussi insignifiante qu’une moquette dans une situation aussi dramatique.
à 1 h 38 min
Incroyable .
c est excellent on a presque la sensation d etre sur le lieu d avoir nos pied sur la moquette de se mettre a la place de cette femme