Indiscrétions sur un écrivain passionné

6 septembre 2013 0 h 06 min

Laura Sao nous embaume le coeur d’histoires. En plus de ses sites littéraires Books&XXI Century et Le rêvarium, elle publie également des textes ici qui ne manquent pas d’accrocher le lecteur.Elle sait trouver les mots pour nous emmener dans des imaginaires toujours plus surprenants, toujours aussi forts les uns que les autres. Via les différents extraits publiés ici sur ce site, elle nous a invités à découvrir quelques fragments de son second roman. Beaucoup d’entre vous ne tarissent pas d’éloges sur son talent.
En savoir plus sur sa façon d’écrire, son talent, ses trouvailles, son intuition et son inspiration ? Je n’étais pas la seule à le souhaiter… Elle a accepté de répondre à mes questions. Je vous laisse donc découvrir cet échange très intéressant…

 

L’écriture semble couler dans tes veines. Quel est ton premier souvenir d’écriture ?

Mon plus lointain souvenir, ce sont ces livres en papier que je faisais en primaire. Je faisais les illustrations, racontais des histoires et parfois, mes professeurs voulaient adapter ces derniers en spectacle de fin d’année ou de Noël. Mais le moment où j’ai vraiment commencé à écrire, c’est à l’âge de 12 ans, avec des blogs d’histoires.

 

Quelle est ta source d’inspiration ? Comment naissent les histoires que tu écris ?

Ma source d’inspiration en tant que telle est très variée et… capricieuse, haha. Si j’ai une idée qui me semble intéressante et que je me mets face à l’écran pour la commencer, rien ne sortira, ou du moins le texte sera médiocre ou avorté au bout de deux pages. C’est très frustrant, car ça m’impose des périodes sèches assez longues.
Et puis, vient un jour où je tombe sur un mot, ou l’idée d’un personnage, ou encore une ville. Pour A mains nues et Du bout des doigts , c’est l’haptophobie qui est au centre de cette histoire, qui est le fil conducteur. Mes histoires se développent suivant un point de fuite en quelque sorte, comme en peinture : elles partent d’une pièce et tout se construit autour au fur à mesure.

 

On reconnaît dans tes textes un talent certain. Comment l’entretiens-tu ?

Merci ! En fait, j’ai la chance d’être bien entourée : je fais partie d’une famille d’intellectuels, dont certains ont déjà écrit, mais les regards critiques viennent principalement de l’extérieur – comme ce site. Néanmoins, une personne suit réellement mon travail de rédaction : une très bonne amie mangeuse de livres. Elle lit une quantité de bouquins incroyable et a un regard critique très aiguisé. Elle n’hésite pas à me dire si un passage n’est pas crédible, les longueurs, les incohérences sur des détails… Comme une éditrice, en quelque sorte. On pense souvent que les proches sont plus conciliants, mais pour moi c’est honnêteté qui prime. Je demande toujours l’avis de gens qui parlent franchement, et je n’ai pas peur de la désapprobation.
C’est très formateur pour mettre en vis à vis son texte, car on entend des choses déstabilisantes et on doit faire des choix : suivre le lecteur ou l’histoire ?

 

Pour qui écris-tu, toi ou les autres ?

Je me suis posée la question pendant longtemps. D’abord pour moi, parce que je pense qu’on écrit ce que l’on voudrait lire, puis ensuite les autres permettent de partager sa vision. C’est touchant quand quelqu’un pleure pour tes personnages et les mots que tu as choisis.

 

Quel est le regard que tu crains le plus sur tes textes ?

Un regard tronqué. Ça me met mal à l’aise quand on relève par exemple des scènes intimes ou des moments violents indépendamment de l’histoire. Mais surtout, la peur que cela paraisse faux. J’adore travailler la psychologie des personnages, je les creuse, alors lorsque des actions sonnent faux, je dois retravailler encore.

 

Des auteurs fétiches ? Lesquels ? Qu’aimes-tu chez eux ?

Stephan Zweig est le seul qui, pour moi, décrit avec justesse les sentiments. Je veux dire que malgré le Romantisme avec Chateaubriand et les autres, pour moi il se détache par la pureté et la justesse de décrire l’intime.
Après, il y a Toni Morrison, qui par l’évocation d’une communauté noire est toujours percutante. Elle arrive à parler d’une communauté, sans pour autant enclaver son discours. Elle parle d’un peuple, mais fait en sorte que tous les peuples la lisent. Je trouve ça beau. Mais ce que j’aime chez elle, c’est son style incisif. Elle n’est pas poétique dans ses mots mais dans l’illustration que ses histoires dessinent. Elle est directe, met mal à l’aise, et nous empêche une lecture confortable pour nous donner quelque chose de brut, mais pur.

 

Des rituels d’écriture ?

La musique. Je travaille toujours avec la musique, elle a une place importante dans les atmosphères, et plus c’est éclectique, plus j’élargis ça à un panel d’émotions. Sinon, même si je perds un peu l’habitude, j’ai toujours un carnet dans mon sac, ou alors des post-it sur mon téléphone. Tu n’imagines pas combien de dialogues fictifs j’ai écrit dans des brouillons de SMS.

 

 

Tu as déjà écrit un premier roman. Quels souvenirs gardes-tu de cette première expérience ? Où peut-on le trouver ?

Exaltant mais aussi avec des erreurs. Je ne suis pas satisfaite de la maison (j’avais trois maisons favorables) que j’ai choisie au final, car la diffusion est limitée – vous pouvez vous le procurer à la maison même Bajag Meri. Aussi, j’écris différemment aujourd’hui, donc c’est plus une tendresse pour un premier bouquin que je ressens que l’idée d’un roman accompli. Ça m’a montré que la rigueur est primordiale quand on écrit, et surtout quand on veut que ce soit lu.

 

 

Tu nous a dévoilé des extraits de ton second roman sur le site. Comment est né l’imaginaire de cette histoire ?

C’était très morcelé. Je traversais une période de vide assez longue, avec les études et mon séjour à l’étranger, je voulais écrire mais je n’y arrivais pas.
J’avais des morceaux d’idées, et la première était le personnage de Matza. Je me souviens avoir écrit des brouillons d’histoire en essayant de l’incruster mais ça ne prenait pas. Son personnage était là, dans mon imaginaire mais impossible de l’exploiter.
Puis, j’ai visité Stockholm pour la première fois. C’est une ville qui m’a marquée et qui a une âme essentielle au roman. Je savais qu’elle serait le socle d’une histoire, quelque chose de solide.
Enfin, comme je l’ai dit, je suis tombée sur le mot d’haptophobie dont l’idée m’a fascinée. Comment toucher le monde quand on en a peur ? C’est devenu mon “point de fuite”, et tout s’est construit naturellement. Ça a été très instinctif, mes histoires sont comme des films qui se déroulent devant mes yeux, et que je dois décrire.

 

 

A quel point tes personnages t’ont-ils possédée au cours de l’écriture ?

En fait, je considère mes personnages comme des personnes à part entière : lorsque j’en parle et que je dis “J’adore Matza quand il…”, ça peut passer pour de l’autocongratulation alors que ce n’est pas le cas haha. J’ai un rapport fusionnel avec l’histoire dans le détachement et l’autonomie que j’attribue aux personnages, je pense.
Pour l’écriture même, c’est très prenant. Par exemple, lorsque Sibylle (le personnage principal) se rend dans le nord de la Norvège, au bord de l’océan arctique. Tout ce qu’elle voit, le village, les maisons, l’eau glacée, je l’ai vécu. Ce passage a quelque chose d’initiatique car il révèle ses blessures et c’était très éprouvant de l’écrire. J’étais au bord des larmes, parfois. Beaucoup de scènes sont écrites comme si je me trouvais dans la pièce avec eux.
En général, quand une scène est vraiment importante, je me pousse à bout. Il me faut pleurer avec le personnage, sentir pourquoi et comment il a mal, et le résultat est souvent là, comme pour l’extrait de A mains nues, la suite de ce roman, que j’avais posté. C’est éprouvant mais très gratifiant. On puise en nous pour donner un peu plus aux mots, c’est incroyable comme sensation.

 

 

Quelle est sa destinée ?

Pour l’heure, je l’ai envoyé à quelques maisons d’éditions, mais davantage pour avoir des commentaires construits et critiques car, bon, je reste une amatrice et je doute que mon travail puisse être accepté (si c’est le cas, ce serait bien sûr formidable !). J’attends de voir les réponses, puis en fonction, peut être que je me tournerais vers le crowdfunding. L’autopublication me fait peur, car j’ai l’impression que c’est s’autoproclamer comme une valeur sûre, c’est pour ça que le crowdfunding m’intéresse davantage car il laisse le public juge de ce qui l’intéresse.
Aussi, je pense à faire très bientôt un blog comme galerie de textes, l’engouement pour les derniers posts sur La main enchantée m’a vraiment, vraiment touché alors je me dis que peut-être d’autres textes intéresseraient.

 

 

Quels sont les difficultés auxquelles tu te confrontes souvent ?

La subjectivité. C’est un cercle vicieux car elle est nécessaire et à la fois dangereuse, à mon sens. Le début d’un roman est toujours frais, on peut se montrer critique, mais quand on passe trois cent pages à aimer, haïr ou accompagner ses personnages, c’est difficile de les faire évoluer. Il me faut prendre du recul, d’autant plus que je privilégie un genre réaliste, la crédibilité est primordiale.
Aussi, une autre difficulté, ce sont les avis extérieurs. Par exemple, certains trouvent que Sibylle n’est pas un personnage attachant, ce qui est assez rédhibitoire pour un personnage principal. J’ai digéré l’information, puis j’ai dû décider si je devais la revoir, ou la conserver comme telle. J’ai pris position, je l’ai gardée. Ce n’était pas une question d’ego comme “c’est mon personnage, c’est moi qui décide”, il fallait que je me justifie cette décision, le pourquoi de la conserver. Je trouve ça plus difficile de garder une histoire comme telle, de la conserver que de céder à des changements pour plaire. Cela m’a demandé du temps et du recul, et finalement j’ai vu que les personnes ayant émis cette remarque ont le même caractère. Le fait est qu’ils ont beau ne pas ressentir de sympathie, Sibylle ne les laisse pas indifférente, il y a forcément des passages où ils se sont retrouvés.
Et, enfin, assumer son histoire. On a beau dire, je pense que notre histoire devient notre conviction face au regard des autres. Il faut la justifier, la défendre et c’est comme ça que l’on voit si elle est solide. Surtout quand on aborde des sujets tabous ou dits “immoraux”, car même si on se proclame comme des gens modernes, il y a des sujets qui dérangent.

 

 

Des conseils ?

Allez où l’on ne vous attend pas… et ce n’est pas que valable pour l’écriture ! 🙂

 

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src/ weheartit.com

Vous en parlez

  • Merci pour cette interview ! Et pour le chapeau, je suis très touchée 🙂 (et désolée pour les fautes, n’ayant pas internet lorsque j’y ai répondu, l’orthographe par téléphone laisse à désirer ^^ »).

  • Merci a toutes les deux pour le partage de ce temoignage passionnant.
    Laura, j’ai deja lu quelques uns de tes textes ici et les reponses que tu nous offres me permettent de te connaitre un peu mieux.
    Je te souhaite de reussir, tu as du talent et le cran de depasser tes propres limites, quelque chose qui est encore tres difficile pour moi.

  • Merci Beaucoup Marie ! J te souhaite de trouver tes marques, de toute façon chacun évolue et sa manière, et je ne doute pas que tu es sur la bonne voie ! 😀

  • Je me retrouve un peu qd tu dis avoir une idée bien précise un jour sans pouvoir l’exploiter. Il faut dans ces cas-là attendre une autre idée, une rencontre, une sensation pour débloquer l’imaginaire…
    Merci bcp pour ton partage.
    Tiens-nous au courant 😉

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