La porte était blanche

11 décembre 2013 11 h 42 min

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Judit a frappé. Trois coups secs qu’elle a essayé de maintenir au creux de ses poings. Bien qu’éemmitouflés dans la laine bleue de ses gants, ils sont venus se cogner au bois blanc de la porte avec une volonté ferme. Trois coups, pas plus. Quatre auraient été trop. Trop nerveux. Trop impatient. Trois coups, réguliers, pas trop proches, pas trop espacés, tel le messager qui viendrait apporter un télégramme, prêt à se pencher délicatement en avant et tendre élegamment la main   » Un télegramme Monsieur « . Trois coups agréables à l’oreille. Mais Judit n’est pas un messager, et n’a dans ses mains que cette moiteur venue du cœur et de l’esprit.

Trois coups, le temps d’une respiration, et la lourde porte blanche s’est ouverte dans ce grincement qu’elle connaissait bien. Mattieu est là, juste devant elle. A peine réveillé, à peine couvert de son peignoir épais couleur gris anthracite. A-t-elle eu le temps de voir cette lumière s’éteindre dans dans son regard une seconde à peine après avoir ouvert la porte ? Il ne voulait pas que ce soit elle derrière la vitre floue. Une autre, un autre, peu importe qui, mais pas elle. Il avait espéré, mais nulle apparition ne naît de l’espoir. N’apparaît que le réel, le pire à défaut du meilleur. Par réflexe, il s’emmitoufla dans son tissu éponge et serra avec excès la ceinture autour de sa taille. Les épaules carrées, les bras croisés sur son torse, il se posa sur le mur du palier.

« – Qu’est-ce que tu veux ?  lui lança-t-il de son menton arrogant.

– Je passais par là, j’avais envie de te voir alors je suis passée, mentit-elle. Les mots sortaient trop vite, trop préssés, enflammés d’une passion qu’elle ne maîtrisait plus. Des mots, des beaux, des trop forts, mais tant pis, tant qu’elle peut être près de lui. Elle ne devrait pas être là, elle ne devait pas venir, elle le savait au fond. Mais quels que soient les chemins empruntés, tous la mènent à lui.

– J’ai pas le temps. Tu ferais mieux de partir.

– Oh ! T’as pas le temps, tu dis ce que tu veux…Mais, en vrai, t’as bien deux minutes, ou un petit quart d’heure pour moi ?!, claironna Judit en faisant fi du barrage de son bras et s’engouffrant dans l’entrée de la maison.

Dans son dos, la porte se ferma, lourde et sèche. Dans l’esprit de Judit résonna en sourdine, le clairon de la victoire. Elle avait gagné, et de peur de trop montrer sa joie, elle ferma les yeux quelques secondes. Telle une danseuse étoile, elle se retourna, et se retrouva nez-à-nez avec Mattieu. Une mèche de ses longs cheveux bruns s’agrippa à sa barbe mal rasée. Il était proche, trop proche, bien trop proche. Judit sentit son coeur s’accélerer. Ca y est, enfin, il avait compris qu’elle serait la seule, l’unique femme de sa vie. Il avait compris qu’ensemble, ils pourraient grandir, vieillir, construire, main dans la main. Il posa une main sur sa nuque. Un courant électrique la parcourut tout entière, les papillons de son ventre se mirent à battre des ailes et et le feu enflamma ses joues. Le regard plein de la naïveté qui caractérise si bien l’amour passionnel, elle laissa un sourire se poser sur ses lèvres.
Il se pencha vers elle, les lèvres dans sa nuque. Il allait l’embrasser, elle sentirait à nouveau cet amour glisser en elle comme une sève nouvelle. Mais sa bouche s’arrêta à quelques centimètres, qui s’espacèrent brutalement lorsqu’elle sentit ses cheveux aggrippés et tirés vers le sol. C’était si soudain, si fort que la peau de son crâne se décolla de quelques millimètres.

– T’as rien à foutre ici ! lui cracha-t-il au creux de l’oreille

Il la lâcha brutalement, et elle dut se retenir au mur pour ne pas tomber.
Cela s’était passé en une minute, peut-être moins.
Qu’avait-elle fait ? Elle avait pourtant bien respecté l’intervalle des trois jours qu’elle avait jugés plus que nécessaires pour qu’il entende raison. Elle avait résisté au-delà de possible, jour et nuit, pour ne pas l’appeler, ne pas composer son numéro, ne pas oser le sms si facile et si vite envoyé. Judit avait été jusqu’à mettre son téléphone dans une pochette plastique étanche au fond d’un bac en plastique rempli d’eau enfourné au congélateur. Il n’avait encore jamais été aussi loin. Elle avait vu bien des fois la rage dans ses yeux, sa mâchoire se serrer, mais dans ces moments, il avait l’habitude de partir marcher dehors pour s’éloigner d’elle, et reprendre ses esprits comme il disait.

– Qu’est-ce qui te prend ? C’est encore tes cauchemars, tes angoisses nocturnes ? osa-t-elle, portant une main à son crâne endolori.

Il s’était avancé devant elle. Il lui tournait le dos, les mains croisées derrirèe sa nuque. Mattieu fixait le pré des ânes par la fenêtre. Immobile, droit, impassible. Du moins le croyait-elle. Dans la vitre, elle pouvait deviner sa bouche serrée, la lèvre inférieure mordue férocement.
Il ne répondit rien, et son silence ne faisait qu’accroître son envie de voler à son secours.

– Je…, osa-t-elle

Les mots qu’elle cherchait n’eurent pas le temps d’être trouvés. Il s’était retourné soudainement, éclairant la pièce de ce regard qu’elle aimait plus que tout, doux, profond, empli de regrets et de remords. Mattieu porta un poignet à sa bouche. Ce geste, la tendresse de cette peau, la douceur de sa bouche, Judit ne pouvait rester sourde à leur appel, et elle se précipita vers lui, faisant voler en éclat toutes les règles qu’elle s’était fixées, sans trop y croire au fond.

Mais à peine avait-elle fait un pas qu’elle s’arrêta net. Dans l’encadrure de la petite chambre, en enfilade de cette cuisine qui faisait office d’entrée, se tenait Paul. Mâchoire serrée, regard sombre. Tout en lui faisait résonnance à un non fort, grandissant, hurlant.
D’un geste réflexe, Judit fit un pas de côté vers la porte d’entrée, plus effrayée que jamais par cette prière sourde et pourtant assourdissante. Mattieu se tourna vers son père, de ce visage froid et inexpressif qu’elle ne connaissait que trop bien. L’autre visage.
Ce face à face, ce combat qui s’annonçait, intime, insupportable détermina sa fuite. Elle ouvrit la porte d’une force qu’elle ne maîtrisait pas ce qui la fit se fracasser contre le crépi du mur. Le froid vif s’engouffra en elle, cinglant ses joues et pinçant ses lèvres.
Quelques secondes plus tard, elle s’engouffra dans sa voiture avant de mettre le contact et d’enfoncer la pédale d’accélérateur. Le bruit du moteur lancé à son maximum venait comme un écho apaiser ses sanglots bruyants. Rage, tristesse, folie, peu importe ce qu’était ce poison qui intoxiquait son coeur tant que les larmes en emportent une partie.

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