En souvenir

27 mai 2013 21 h 31 min

Elle l’avait vu partir comme la flamme d’une bougie s’éteint. Elle n’avait pas su dire les mots pour le retenir. Elle sentait désormais le parfum de son absence.

Elle redoutait ce moment depuis des mois. Elle savait qu’elle ne pourrait y déroger. Cela avait été prévu, planifié. Tout comme sa vie l’était. Tout était organisé dans les moindres détails avec soin, consigné dans un carnet ou agenda. Méticuleux, précis, ordonné. Pour ne rien laisser au hasard.

Mais prévoit-on dans nos calendriers les peines de cœurs, les tristesses lourdes, les chagrins déchirants ? Note-t-on à quel point la douleur fera mal, nous pèsera sans que l’on sache pendant combien de temps ?

Il serait si simple de prévoir cela aussi. Savoir quand le vide et le tourbillon des sentiments et des émotions au fond de soi s’arrêtera.

Certains ne s’arrêtent jamais et durent tout la vie.

Elle le savait, elle faisait partie de ceux-là.

Un cœur trop tendre, trop aimant simplement, pensait-elle.

Ils s’étaient connus sur les bancs de l’école. Leurs mamans se connaissaient depuis de nombreuses années, elles étaient amies de longue date. Nul doute que leurs enfants respectifs allaient également découvrir ce lien particulier qu’est l’amitié.

Ils s’étaient  tout de suite bien entendu, bien que de caractère différent. Ils se chamaillaient pour tout et rien. Ils se complétaient, d’une certaine manière.

Le temps passant, chacun connut des aventures de son côté. Ils se racontaient tout : les râteaux, les baisers, les câlins, les gifles. Ils n’avaient pas de secrets l’un pour l’autre. Trop proches pour être ensemble et pas assez pour s’aimer. Ils seraient amis pour la vie, voilà tout.

Ils avançaient chacun dans leur vie. Les études, un premier boulot. Et l’opportunité d’avoir une vie meilleure ailleurs. Un peu la chance inouïe, incontournable. Un accord, le départ.

Et les questionnements qui s’installent sans fin : cet éloignement signifie-t-il la fin de leur amitié ? Et d’ailleurs est-ce seulement de l’amitié ?

Le doute, la confusion du ressenti, les nuits sans sommeil à se demander si c’est une bonne chose. On ne peut pas priver une personne que l’on aime de poursuivre dans sa lancée, de trouver sa voie et de s’y plaire. Même si cela nous cause du chagrin. Même si cela signifie la fin de quelque chose.

Car toute fin annonce un commencement. Le départ vers un autre chemin. De nouvelles découvertes. De nouvelles joies. L’avenir est malin mais il ne tient qu’à nous de le surprendre en se montrant fort et serein.

C’est ce qu’elle ressassait depuis toutes ces semaines, alors qu’elle ressentait ce manque. Mais alors qu’elle songeait à lui, elle se souvint d’une de leurs premières brouilles.

Chacun voulant avoir raison sur un sujet qu’ils évoquaient, ils partirent dans des discussions sans fin, voulant se convaincre et s’emmêlant dans leurs pensées.

Au final, chacun était parti de son côté, blessé dans son orgueil et ne se sentant pas respecté. Pourtant, à aucun moment elle n’avait ressenti une rupture dans leur lien d’amitié : au contraire, cela l’avait renforcé. Car leurs différences étaient aussi une richesse.

Revoyant ces images d’un autre temps défiler dans sa tête, elle ne vit pas sa mère l’appelant, l’informant qu’un courrier venait d’arriver à son nom.

Sortant de sa rêverie, elle se précipita vers la lettre dont elle reconnut immédiatement l’écriture : c’était lui.

Il venait s’enquérir de ses nouvelles, lui relatait les siennes, parlait de la distance qui au début l’avait fragilisé. Pourtant il songeait souvent à elle, elle lui manquait bien sûr, mais leur complicité également. Cependant, il concluait sa missive sur une note des plus enthousiastes : il était heureux. Oui, heureux car il avait eu la chance de la connaître, de faire partie de sa vie, et cette dernière s’en était retrouvée embellie. Malgré les kilomètres désormais entre eux, il espérait qu’elle en deviendrait pas un souvenir.

A la lecture de ces mots, diverses émotions traversèrent son visage : la surprise, la joie, la tristesse, la sérénité.  Elle aussi mesurait sa chance de connaître une si belle amitié. Et quoi que puisse lui réserver l’avenir, elle se faisait fort de l’entretenir, comme un jardin, afin que les plus belles fleurs y poussent, quelle que soit la météo.

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