De l’autre côté du miroir

5 juin 2012 22 h 32 min

La pluie tombait drue depuis les premières heures du jour et le ciel ne laissait rien présager de meilleur pour les heures à venir. Des femmes en tailleur noir sortaient des voitures, prêtes à courir pour s’engouffrer sous un porche déjà bien rempli, tandis que leurs époux cherchaient une place le plus près possible, de façon à épargner leur costume.

Elsa se tenait debout sur la place. La pluie ne semblait pas la déranger. Elle la contemplait couler sur son tailleur gris et ses jambes nues. Elle en appréciait la douceur. Le monde se pressait autour d’elle. Elle ne semblait pas le remarquer. Elle attendait. Perdue dans une autre sphère.

Lorsque les portes de l’Eglise se furent ouvertes, le monde se pressa à l’intérieur, comme poussé par une force inconnue. Il y faisait très sombre. Quelques bougies éclairaient des saints ici et là mais le cœur restait dans l’obscurité la plus totale. C’en était presque effrayant. Pour passer le temps, ils se parlaient, échangeant des banalités sur la vie de tous les jours, attristés de se retrouver dans des circonstances aussi tragiques, déterminés à ne pas laisser autant de temps séparer leurs prochains rendez-vous, conscients cependant qu’ils n’échapperaient pas si facilement à leur routine, même monotone.

Elsa n’était pas rentrée. Son corps entier frémissait, ses vêtements trempés, mais elle attendait. Une voiture s’arrêta à quelques mètres d’elle. Une femme âgée serrant contre son cœur un bouquet de fleurs fraîches en sortit difficilement. Elle était accompagnée d’un homme jeune, qui la prit aussitôt par le bras. En s’avançant, ils se trouvèrent nez à nez avec Elsa.

 » – Mais Elsa, que faites vous là. Il fallait rentrer, mon petit. Regardez dans quel état vous êtes, vous allez attraper la mort, lança la vieille femme inquiète.

– Je vous attendais plus tôt Marcelle. Ils sont tous là depuis une demi-heure. Que faisiez vous ?

– Maman a eu un léger malaise en se préparant, fit le jeune homme. Tu es restée là depuis que je t’y ai déposée ce matin ?

– Oui

– Mais Elsa, c’est complètement fou.

– J’attendais.

– Maintenant que nous sommes tous là, allons y, avant que l’eau ne nous ruine nous aussi. Pierre, prends la main de ta femme avant qu’elle ne s’effondre.

– Non. Il n’est pas encore arrivé. Je ne bougerai pas tant qu’il ne sera pas là

– Mais qui, Elsa ? reprit la vieille femme

– Maxime, mamie.

– Elsa, il doit être là. Le corbillard est parti il y a plus d’une heure.

– Je suis ici depuis ce matin et je ne l’ai pas vu.

– Il a sûrement dû passer par derrière.

– Non, je l’aurai su.

– Enfin Elsa, c’est insensé. Avez-vous au moins vérifié auprès du prêtre dans l’Eglise ?

– Ils arrivent toujours de ce côté. Vous, allez-y. Moi j’attends.

Elle resta là, immobile, encore quelques instants. Puis vit le corbillard s’avancer, un homme d’une trentaine d’années en sortir, le corps frêle et le visage triste, et se diriger vers l’arrière de la voiture. Elle n’avait pas le droit de flancher, pas maintenant, mais lorsqu’il ouvrit le coffre, elle ne put réprimer un cri d’effroi. Elle sentit la terre se dérober sous ses pieds. Toutes ses forces venaient de la quitter et elle ne dût son salut qu’aux deux bras fermes de Pierre autour de son corps épuisé.

C’est en chancelant qu’elle entra dans l’Eglise, la main de Pierre dans la sienne, derrière le petit cercueil blanc.

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