ContradictionS

1 août 2014 8 h 53 min

-Je ne sais pas si on vous a déjà fait ce compliment, mais vous êtes très laide.

-Je vous emmerde gentiment.

-Tutoyons-nous, voulez-vous ?

-Enfin… Moi qui trouvais que tu prenais un peu trop tes aises, ça me rassure.

Dans l’appartement, les enceintes vrombissaient. Dans le noir de la nuit, plusieurs spots de faisceaux lumineux installés au plafond éclairaient la pièce par intermittence pour donner aux gens l’envie de danser. Noir, lumière rouge, noir, lumière bleue, noir, lumière jaune… Mais les invités ne dansaient pas. Les enceintes avaient beau continuer de faire beaucoup de bruit et les spots beaucoup d’effets de lumière, les gens se mettaient alors à danser.

Heureusement, un couple isolé au centre de la piste discutait encore de façon rationnelle :

-Donc maintenant qu’on se connait, tu t’appelles comment ? lui demanda le jeune homme.

-Juliette. Et toi ?

-Jules.

-C’est original, dit-elle en esquissant un sourire. Tu viens souvent par ici ?

-Pas suffisamment, soupira-t-il. Tu veux aller faire un tour?

-Dehors plutôt.

-Bon, c’est d’accord…

Elle poussa alors un petit cri de joie, l’embrassa sur le front et lui souffla à l’oreille : je vais prendre ma veste, il doit faire froid dehors. Et Juliette s’en alla chercher sa veste là où elle la posait habituellement. Jules, abasourdi par son baiser, resta immobile. Une réponse inadaptée à ce geste selon lui, et qu’il souhaiterait corriger si une nouvelle occasion se présentait. Il ne pouvait pas si bien penser, mais il ne le savait pas encore.

Dehors, il faisait froid. Les trottoirs étaient recouverts de neige. Les voitures aussi ainsi que les barrières, les lampadaires et les toits des maisons. Tout était recouvert de neige en fait, sauf la route. Les voitures y circulaient laissant derrière elles un mélange boueux.

La veste sous le bras, la jeune femme nommée Juliette Elise Simone Petit, fille de journaliste et de guide touristique, gambadait le long de la chaussée. Elle était toujours à trois doigts de tomber et à deux doigts de se relever.

Plus tard, du bout de la manche de sa veste sous le bras, elle retirait le fil de neige posté sur le fil à linge chez le voisin du trottoir.

Elle adorait ça Juliette. S’introduire chez les gens qu’elle ne connaissait pas pour mieux les rencontrer. C’est comme ça qu’elle avait trouvé Jules d’ailleurs. Elle pouvait donc se remercier.

Derrière elle, Jules Pierre Jean Souper, fils de guide touristique et de journaliste et propriétaire de l’appartement où se déroulait la fête de surcroit, l’observait amoureusement. Le grain de beauté sur la fesse droite de Juliette le fera rougir, mais il ne le savait pas encore.

Ils allèrent frapper à la porte de l’inconnu. Pas de réponse. Ils s’essuyèrent les pieds sur le paillasson à l’entrée et s’en allèrent vers le portail.

La porte d’entrée s’ouvrit alors, faisant apparaitre un vieil homme en pyjama qui les interpella poliment :

-Qu’est-ce que vous foutez chez moi à cette heure-ci ?

L’un après l’autre, Juliette et Jules se retournèrent et accoururent vers le monsieur pour engager la conversation.

-Bah alors, je vous ai demandé : qu’est-ce que vous foutez chez moi ? répéta le vieil homme après avoir dit la même chose.

-Vous semblez si impatient de nous connaitre mon cher monsieur, je sens que nous allons devenir amis, gloussa Juliette.

-Mais je n’ai pas la moindre envie de vous connaitre, j’ai envie de dormir ! beugla le vieil homme.

-Pourtant, ce que nous faisons ici, expliqua Juliette d’un air perplexe, c’est apprendre à vous connaitre, et vous avez demandé ce que nous faisions ici…

-Deux fois, ajouta Jules.

-Mais ce n’est pas possible, vous êtes cinglés ma parole ! Sortez de ma propriété et laissez-moi en paix, c’est compris ? maugréa le vieil homme.

-Votre parole n’engage que vous, vous n’avez pas à demander notre avis, répondit Juliette.

-Dégagez ou j’appelle la police ! s’époumona le vieil homme.

-Mais il fallait nous le dire plus tôt, dit Juliette, gênée. Appelez donc la police, nous comptions partir de toute façon.

-Tu as raison, les amis avant tout, ajouta Jules.

-Rien n’est plus important, compléta Juliette.

Et le vieil homme claqua la porte derrière lui en ronchonnant.

-Tu as remarqué ses sauts d’humeur ? demanda Jules.

-Les hormones sans doute… soupira Juliette.

-Quoi, tu penses qu’il a ses, enfin tu sais… ?

-Mais non, tu as bien vu qu’il avait moins de 80 ans.

Et ils retournèrent sur le trottoir. Depuis dix minutes qu’ils marchaient, leur promenade semblait s’éterniser. Mais qu’est-ce qu’ils aimaient se découvrir l’un et l’autre : quoi que l’un dise, l’autre exprimait toujours l’exact opposé…

-Donc toi aussi, tu aimes monter à cheval ? questionna Juliette, toute excitée.

-Seulement sellé, répondit Jules.

-Et la viande, tu la préfères comment ? s’exclama Juliette.

-Crue.

-Parfait, susurra Juliette et elle s’approcha de lui pour l’embrasser.

Il lui répondit alors de la plus belle des façons, en l’embrassant à son tour. Et ils s’embrassèrent de nouveau. Leurs sourires qui s’ensuivirent confirmèrent ainsi que l’utilité première des lèvres ne logeait pas dans la parole. La langue si. C’est ce que comprit Jules en voyant Juliette glisser une mèche de cheveux derrière son oreille droite : un signe typique d’insatisfaction selon lui. Tant pis, il essayera de faire aussi bien la prochaine fois. Juliette quant à elle, avait délibérément glissé derrière son oreille gauche une mèche de cheveux pour lui exprimer le plaisir qu’elle avait ressenti. Il comprendra à coup sûr, se dit-elle. Ces signes, pourtant universels, ne seront jamais transmis à leur fils Jimmy. La faute à ces oreilles, trop petites pour y loger derrière une de ses courtes mèches. Le pauvre ne pourra donc s’y fier lors de son premier baiser échangé avec Sally, la future fille du futur boulanger de Jules et Juliette. Mais ils ne le savaient pas encore, sauf Sally peut-être qui sera assez maligne pour le deviner.

Plus loin, Jules et Juliette retombèrent par inadvertance sur une seconde maison. Après tout, ils se trouvaient au cœur de la ville. Cependant, Jules et Juliette ne purent s’empêcher de se dire que ça ne pouvait pas être qu’une coïncidence. Sans un mot, ils poussèrent la barrière en bois et franchirent l’allée bordée de lilas et autres fleurs de couleurs aussi disparates que les pétales qui les constituaient. Jules et Juliette s’avancèrent jusqu’au pallier et sonnèrent à la porte, deux fois.

-Pourquoi as-tu sonné deux fois ? demanda Juliette à Jules après s’être tournée vers lui.

-On n’est jamais assez sûr, lui répondit Jules.

-L’expérience nous apprend pourtant que lorsqu’on sonne, il y a toujours quelqu’un, certifia Juliette.

-Mais cette personne a-t-elle suffisamment d’expérience pour le savoir ? rétorqua Jules d’un air victorieux.

-Et bien vas-y, sonne donc encore une, deux ou même trois fois si cela te chante, mais je tiens à te préciser que…

La porte s’ouvrit avant qu’elle n’ait pu finir, faisant apparaitre une vieille dame dans l’encadrement.

-Tu vois, jubila Jules, j’avais raison !

La vieille dame s’approcha d’eux, les toisa du regard puis déclara en leur souriant :

-Je vous attendais mes petits…

Elle recula alors d’un pas et leur ferma la porte au nez.

-Tu crois qu’elle s’apprêtait à dire autre chose ? chuchota Jules à l’oreille de Juliette.

-Pourquoi dis-tu ça ?

-L’intuition, répondit Jules.

-Au moins, elle a le sens de l’accueil… On entre ? suggéra Juliette.

-A toi l’honneur, je sais que tu en as envie, lui souffla Jules.

-J’ai toujours voulu rentrer chez quelqu’un sans en avoir la permission, avoua Juliette.

A l’intérieur, la vieille dame préparait le thé. Elle s’assit sur la chaise dans la cuisine et invita Jules et Juliette à faire de même. La vieille but une gorgée et les invita à faire de même. Elle questionna ensuite Juliette :

-Alors, ça t’a plu ?

-C’était mieux que tout ce que j’avais pu imaginer, acquiesça vivement Juliette, mieux que ce qu’on lit dans les livres.

-En es-tu sûre ma petite ? insista la vieille dame.

-Mieux que ce que j’ai lu dans les livres ça oui ! s’exclama Juliette.

-Et toi Jules ? demanda la vieille dame.

-Je préfère les bandes dessinées, marmonna Jules.

-Je ne peux pas me permettre, je ne sais pas dessiner, confessa la vieille dame.

Sur ces mots, la vieille dame prit la peine de se lever de sa chaise et alla attraper un livre posé au pied de sa bibliothèque.

-Pour ne jamais oublier où il se trouve, expliqua-t-elle à Jules et Juliette.

La vieille dame prit de nouveau place à sa table, et tourna les pages une à une, de manière mécanique, en murmurant :

-Je cherche où nous en sommes… Ah voilà ! J’ai trouvé ! s’exclama-t-elle.

-Qu’avez-vous trouvé ? demanda Juliette.

-Que cherchez-vous ? dit à son tour Jules. Ah, je l’ai manqué de peu, soupira-t-il.

-Taisez-vous s’il vous plait, rouspéta chaleureusement la vieille dame, c’est à moi de parler à présent.

Et elle tourna une nouvelle page. Son index posé contre le papier, elle déchiffra alors les caractères imprimés et comprit.

-Pour répondre à vos questions, j’ai trouvé ce que je cherchais, leur dit-elle le sourire aux lèvres. J’avais juste besoin d’être confrontée à mon imagination en chair et en os pour savoir de quoi serait constituée la suite de mon histoire…

Et ça mes petits, vous ne le savez pas encore.

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