Elle se réveilla, étourdie de son rêve. Mais ce n’était pas un rêve.
Aussi incroyable que celui puisse paraître, elle avait fini par s’endormir malgré tout, chez sa mère. Mais l’insoutenable réalité l’avait suivie dans son sommeil, et elle se présentait nue par ce matin absurdement ensoleillé : son frère était mort. C’était fini, il n’y avait plus rien à faire pour lui. On n’avait pas pu le sauver de lui-même, de cette folie qui l’avait vu naître et qui avait grandi en lui jusqu’à lui être fatale.
Les images atténuées du rêve revenaient maintenant violemment marteler le cerveau de la femme éveillée. Le corps allongé par terre, avec cette plaie béante au niveau du crâne. Son père, hébété, assis par terre, son autre frère égal à lui-même, impassible (c’était sa maladie à lui). Tandis que sa mère n’avait pas pénétré dans la maison, elle avait voulu le voir, elle, même comme ça, dans cet état, pour pouvoir le croire, pour pouvoir poser une réalité sur l’image qu’elle en avait. Elle avait vomi sur le champ.
Les policiers s’affairaient maintenant à déterminer les circonstances exactes de la mort. Comment un jeune homme de vingt-cinq ans avait-il pu se tirer une balle dans la tête, avec une arme appartenant à son père dans la chambre de celui-ci ? Le père parvenait difficilement à répondre aux questions, il était assommé, abasourdi, répondant par monosyllabes. Oui, il était sorti en fin de matinée faire quelques courses. Il était rentré vers 13H, et il avait trouvé le corps de son fils gisant là. Il n’avait pas tout de suite compris la réalité, il avait appelé son autre fils un peu plus âgé, qui vivait également dans la maison : il avait entendu du bruit oui, mais il dormait, et puis c’était vrai qu’il était fou lui aussi … difficile d’en apprendre quelque chose. Le père avait appelé sa fille, pour qu’elle vienne.
Sa fille, il ne l’appelait jamais, ne répondait jamais au téléphone quand elle l’appelait ; son rôle de père lui était douloureux, sans doute préférait-il qu’on ne le lui rappelle pas.
Aujourd’hui, c’était la première personne à laquelle il avait pensé. Elle s’occuperait de tout. Puis il était retourné s’agenouiller auprès de son fils, et avait plongé dans cette torpeur qui ne le quittait plus. La fille avait fait les démarches nécessaires, elle avait appelé sa mère, avait contacté la police, et se trouvait là maintenant, à sombrer à son tour. Elle tentait vainement de comprendre : pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi comme ça ? Cela faisait tellement d’années qu’il était mal… S’était-il violemment disputé avec son père comme cela arrivait parfois ? La sœur se remémorait la dernière conversation qu’elle avait eue avec son frère au téléphone : il était dans un « bon » jour, il s’était promené ; ses angoisses, ses délires étaient moins prégnants qu’à l’accoutumée, c’était assez rare.
Tout cela était vain à présent. Assise sur le lit, dans la petite chambre où il avait passé deux ans, avant de retourner « vivre » chez son père, la jeune femme refaisait la vie de son frère : un enfant colérique, capricieux, il avait son caractère de petit dernier ; la grande sœur s’était occupée du petit frère, elle avait aimé voir s’épanouir ce petit garçon. A l’adolescence, l’autre frère avait montré les premiers signes, le diagnostic avait fini par tomber : schizophrénie. La famille avait commencé alors une longue et lente descente aux enfers, second verdict : le plus jeune aussi était schizophrène. Et ce fût lui le plus malade, ce fût lui qui souffrit le plus, ce fût lui qui rendit la vie impossible aux personnes qui l’entouraient. Tous les jours, il disait n’avoir jamais voulu naître, tous les jours il le faisait payer à la mère.
Désormais c’était terminé. Cet être, pour qui la vie était une torture, cet être dont l’insupportable folie n’avait jamais pu être domptée par les psychiatres et leurs médicaments, avait emporté sa douleur avec lui. Un jour peut-être le sentiment de soulagement l’emporterait face au sentiment de gâchis, face au sentiment de l’absurdité de cette vie ?
La jeune femme, debout dans la pièce à présent, se dirigea vers la chambre de sa mère en tentant de trouver les mots qui ne pourraient jamais apaiser la douleur du lendemain.
Cet événement n’a pas encore eu lieu. La sœur y pense souvent dans ses jours les plus sombres. Elle l’appréhende, le prévoit dans les moindres détails. Certains jours, elle en viendrait presque à le souhaiter… Pourvu qu’il n’arrive jamais…
à 18 h 59 min
J’espere que ce jour n’arrivera jamais. Un texte tres personnel, vibrant qui prend aux tripes, qui touche parce que malheureusement ce reve pourrait etre vrai.
à 7 h 49 min
quel texte puissant! et cette fin!! le sentiment de réalisme fait froid dans le dos… bravo !
à 9 h 57 min
Oui, comme les autres ce texte m’a parlé également et comme blanche je trouve le réalisme du style fait froid dans le dos, bravo pour ta plume justine !
à 10 h 09 min
Quand j’ai lu ton texte je ne pouvais m’empêcher de faire des soupirs de surprise. On s’y croirait vraiment, presque dans une histoire qui aurait pu être écrite dans un journal intime, en confession… J’ai été assez touchée pour ne pas dire bouleversée par cette histoire…
à 23 h 20 min
Terrible et glacial. Magnifique quelque part
à 18 h 01 min
Merci pour ce beau texte Zabou.
Et tellement triste parce qu’il a des échos de vérité.
On sent la douleur qui peut être la tienne jour après jour.