Elle se réveilla, étourdie de son rêve. Mais ce n’était pas un rêve.
Ou plutôt… Ce n’était pas un cauchemar… Et elle aurait largement préféré qu’en se réveillant, la réalité ne la rattrape pas aussi durement. Car quand elle regarda autour d’elle pour voir où elle se trouvait, elle flottait encore et toujours au plafond de la vieille demeure familiale, translucide et sans consistance, tel un vieux drap mou flottant au gré du vent. Charmant…
Toujours le même réveil pénible et triste depuis tant et tant d’années. Elle avait cessé de faire le compte après avoir assisté, impuissante, au déclin, puis au décès des membres de sa famille. Elle n’avait jamais compris pourquoi elle n’était pas partie dans une douce lumière dorée, elle aussi. Elle les avait vus s’envoler, apaisés, inconscients de sa présence triste et envieuse face au spectacle lumineux de leur libération. Elle ne comprenait pas pourquoi elle restait coincée sur terre dans son enveloppe immatérielle.
Elle n’était certes pas une sainte, mais elle n’avait jamais volontairement fait de mal à qui que ce soit, ni ne s’était jamais réjouie du malheur d’autrui. Elle était une jeune fille normale, partie dans la fleur de ses 20 ans, un jour, comme ça, sans aucune raison particulière. Elle s’était endormie un soir pour ne plus se réveiller dans le monde matériel. Elle avait rouvert les yeux pour découvrir son père, sa mère et son frère, penchés sur son visage blême et sans vie. Elle avait tout fait pour attirer leur attention et leur dire qu’elle était là, mais rien n’y avait fait : cris, pleurs, mains agitées, coups qui traversaient leurs corps solides et leur donnait à peine plus qu’une sensation de froid mise sur le compte du choc qu’ils enduraient.
Elle s’était donc résignée à errer dans cette maison pour un temps indéterminé. Elle avait découvert qu’ironiquement même les fantômes pouvaient s’ennuyer à mourir. Elle avait donc décidé de prendre le parti d’apprivoiser sa nouvelle forme et de voir à quel point elle pouvait influer sur son environnement. Au fil du temps, elle s’était amusée à effrayer les nouveaux occupants de la maison en déplaçant des objets, en traversant leur corps pour leur donner la chair de poule ou encore à provoquer des bourrasques qui faisaient voler les rideaux ou les jupes sans qu’il y ait un souffle d’air. Elle se satisfaisait de ces maigres distractions jusqu’au jour où IL arriva.
Ce devait être à peu près 150 ans après sa mort, ou plus, ou moins, elle ne savait plus trop. Il était entré dans la maison, tel un conquérant et avait planté ses jambes dans le grand hall, portant un regard inquisiteur sur les vieilles pierres. Grand, brun, le visage volontaire, il n’aurait pas manqué de susciter son intérêt de son vivant. Mais voilà, elle était morte et exaspérée qu’un autre importun vienne envahir SA maison. Elle avait donc tout de suite entrepris de commencer à se divertir. Mais elle fût stoppée net dans son élan par un STOP retentissant. Puis, elle se reprit, se disant qu’il devait parler à quelqu’un dehors, puisqu’il avait le regard rivé au travers de sa personne en direction de la porte d’entrée, restée ouverte.
Elle reprit donc son élan pour le traverser et le vit à nouveau ouvrir la bouche :
» – Je ne ferais pas cela si je tenais à ma dignité, jeune demoiselle, tonna-t-il d’un voix de stentor.
Le fantôme s’arrêta net et afficha une mine interloquée. Durant toute sa non-existence, personne ne s’était jamais adressé à elle directement. Après une seconde d’hésitation, elle se remit en tête de foncer vers cet exaspérant braillard…
– Je vois qu’on est un petit bout de femme bien têtu, ce sera à vos risques et périls, la prévint-il.
Elle ne l’écouta pas et continua sur sa lancée… Pour heurter un mur de briques… Le mur de briques en question émit un humpf sonore et continua :
– Je vous avais prévenue ! Nous avons la même essence vous et moi.
– Vous… Vous voulez dire que vous êtes… un fantôme, vous aussi ? balbutia la jeune fille qui réalisa qu’elle n’avait plus parlé depuis des années.
– Un fantôme ? répliqua l’homme l’air vexé, quelle idée saugrenue, nous ne sommes pas des fantômes, quel nom barbare.
En outre les fantômes n’existent pas, c’est bien connu. Nous sommes des Translucides, des êtres qui vivent sur un plan différent des humains.
– Mais, je suis morte il y a des années, je ne suis pas née ainsi. J’avais des parents humains, un frère humain et je me suis endormie un jour pour me réveiller ainsi…
– En êtes-vous bien sûre ? Fouillez dans vos souvenirs. Il la scrutait de ses yeux verts et l’exaspérait avec ses questions idiotes. Bien sûr qu’elle était morte, elle était bien placée pour le savoir ! C’était elle qui avait vécu cette scène traumatisante, non ?
– Je suis morte, j’ai non-vécu pendant des années dans ce manoir et effrayé les importuns qui venaient souiller la mémoire de ma famille. Je ne suis tout de même pas folle !
– C’est bien plus grave que je ne le pensais, alors… Vous ne vous souvenez donc pas de votre vraie famille ? De votre maison ? De vos amis ? De votre fiancé ?
Elle fronça les sourcils… Mais que lui racontait cet olibrius ? Elle n’avait jamais été fiancée… Elle le saurait si cela avait été le cas, non ?
L’homme repris la parole :
– Vous vous appelez Cyrielle de L’Ombre Dorée et êtes la fille de Ramus et Marielle de l’Ombre Dorée. Vous étiez en route pour ma demeure quand, contre l’avis de vos parents, vous vous êtes éloignée de leur campement pour explorer les lieux. Il semblerait que vous avez été happée par les souvenirs de cette maison humaine et que vous vous soyez identifiée à la jeune fille que vous pensez être. Vous payez votre curiosité et votre obstination. Je me demande encore comment j’ai fait pour accepter de vous prendre pour femme…
Elle se sentit envahie d’une colère noire. Comment osait -il ? Il l’insultait, elle, un de plus beaux partis du royaume des Translucides ! Il avait toujours été ainsi : hautain, méprisant, imbu de sa petite personne… Et c’était pour faire de sa vie un enfer qu’elle avait accepté de l’épouser… Raison ô combien égoïste, mais elle devait avouer par devers elle qu’elle comptait bien apprivoiser le sauvage et le rendre fou d’elle. Elle l’aimait depuis des années et comptait lui faire payer ses sarcasmes perpétuels avant de le forcer à avouer sa flamme. Elle n’était pas femme à se brader, non monsieur ! Et c’est là qu’elle réalisa qu’elle était bien Cyrielle, que tout celà n’avait été qu’un rêve éveillé, que son véritable monde ne se trouvait pas ici et que son avenir se trouvait en face d’elle, en la personne de Nejim de l’Arc Irisé. Oui, elle se souvenait de tout. Elle avait voulu vivre une aventure avant de se marier et avait bien failli se perdre et disparaître dans les limbes de cette vieille demeure.
Elle se tourna alors vers lui et dit :
– Je consens à vous suivre Nejim. Mais ne comptez pas sur les remerciements, car après tout, c’est vous l’origine de cette mésaventure.
Elle poursuivit, face à l’expression ahurie de l’homme :
– Oui, si vous n’aviez pas été mon fiancé, jamais je ne me serais aventurée ici. Mais venez, je dois rejoindre mes parents, ils doivent être morts d’inquiétude. En outre, cet endroit me donne la chair de poule.
Et c’est avec une moue exaspérée et le regard furibond que Nejim suivit son arrogante promise loin de cette maison qui avait bien failli être son tombeau. Ce couple improbable vécut nombre d’autres aventures avant de pouvoir unir leurs destins, mais ceci est une autre histoire.
à 19 h 46 min
Eh bien je ne suis pas déçue c’est toi tout craché : du fantastique, quelle bonne idée ! Et contrairement à ce que tu dis tu vois que tu écris bien ! Et en plus dans ton univers, c’est chouette 😀
à 20 h 31 min
Merci c’est gentil 😉
Je dois dire que je me suis amusée à écrire cette petite nouvelle.
Même toi qui ne raffoles pas trop du fantastique, elle t’a plu ? Je suis contente ^^
à 11 h 10 min
déjà je fais bien la différenc entre la forme et le fond : j’aime ta façon d’écrire, c’est la forme. Et puis sur le fond je trouve que le rêve pouvait très bien inviter à se la jouer dans ce registre, ce que tu as très bien fait – bon bien sûr j’ai moins la logique fantastique que toi alors j’ai relu deux fois la fin pour bien la piger hein ^^ LOL, mais à part ça j’ai eu l’impression de commencer un vrai roman fantastique !
Des bises ma belle, bravo
à 11 h 18 min
Après la logique fantastique elle est peut-être un peu partie en live parce que je me suis emballée, hein XD Et puis parfois c’est clair dans notre tête mais ça peut paraître abscons pour les autres.
Mais en tout cas je suis contente, je voulais faire comme si c’était le préambule d’un roman justement, donc objectif atteint 😉