Concours de la rentrée #Lucie

30 septembre 2012 18 h 45 min

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Ce jour-là, à la fin du mois de septembre, en l’espace de dix minutes, quelque chose a basculé. Je n’arrive toujours pas à déterminer exactement d’où c’est venu.

Peut-être de la maniaquerie de ma mère, particulièrement exacerbée ce matin-là, qui, conjuguée à ma haine du ménage, m’avais fait sortir de la maison bien plus tôt que les autres week-ends. Peut-être de ce livre d’anglais que j’avais oublié une semaine auparavant, ou de mon enthousiasme quand la voisine-à-livre qu’on m’avait octroyée, une certaine Thalia, avait commencé à me parler de son groupe.
Peut-être de mon amour immémorial pour le punk-rock, né des disques que nous écoutions à plein régime mon père et moi dans la voiture, à l’époque où il m’emmenait encore sur la route avec lui.
Ou peut-être que ma vie entière n’a été qu’une succession d’évènements visant à m’amener dans ce garage minable ce samedi 20 septembre. Thalia quand elle jouait avait les yeux absents, comme perdus dans une réalité alternative – elle ne me remarqua pas tout de suite. C’est Judith, la chanteuse, qui arrêta tout subitement dès que la porte fut poussée.

 » – Qu’est-ce que tu fous là ?

Je restai bouche bée. J’ai toujours été de nature timide. Prenez un des innombrables clichés sur ce sujet et vous pouvez être sûr que j’y colle, les joues qui rougissent, les yeux qui se baissent, les mains qui tremblent, la totale. D’autant que son regard, qui me dévorait littéralement – et comprenons-nous bien, pas le genre de regard qui témoignerait d’une quelconque attirance non, le genre qui dit « pauvre créature, je vais te manger toute crue » – n’était pas pour arranger les choses. Pourtant ce ne fut pas ma timidité maladive qui me fit bafouiller ce jour-là.

La cassure du poignet était nette, élégante et pleine de rage à la fois. Les doigts fins agressaient presque les cordes de la basse, parsemant des notes au hasard comme on saupoudre ses fraises de sucre : distraitement, avec la certitude que le résultat sera bon. Et putain, c’était bon. Quelque chose fondit en moi, qui m’empêcha de prêter attention aux explications que Thalia donnait sur mon compte. Mes idées se faisaient la malle, mes organes aussi – je pouvais les sentir qui valsaient dans mon ventre. J’avais chaud chaud très très chaud j’avais besoin d’air j’avais besoin de…

Je sortis. Le corps appuyé contre le mur de béton, clope au bec, j’écoutais mon battant lutter contre les barreaux de ma cage thoracique. Et cet énorme nœud dans ma gorge. Cette brûlure entre mes cuisses.

– T’aurais pas du feu ?

Je ne les avais pas entendues arriver, elle et ses mains-colère et les ardentes arcades de ses yeux à couteau ; ses yeux qui visent qui s’élancent qui se fichent tout droit dans la cible. Touché, plein cœur, cent mille points. Déglutir, en silence, comme pour noyer au mieux l’incendie sous ton nombril. Mon bras se tendit et le briquet au bout qui tomba dans sa paume. Comme si de rien n’était mais avec beaucoup d’attention : surtout, surtout pas de contact – mes poudres n’avaient pas besoin d’être plus enflammées.

– Lula.
– Charlie.
– Enchantée.

Elle s’appuya contre le mur à côté de moi, son épaule nue trouait le cuir de mon blouson comme un acide. Je terminai ma cigarette en silence, la regardai finir la sienne du coin de l’œil, absorbant son odeur par fragments et comment des mains pouvaient mettre autant de classe à se refiler le cancer. Elle jeta le mégot par terre, l’écrasa soigneusement sous ses Docs, m’arracha d’une phrase à la contemplation du petit rond de peau blanche qui s’était échappé par ses collants troués :

– Tu viens ?

Nous marchâmes le long des rues sous le ciel d’un blanc sale, sa respiration faisait naître de petits nuages devant elle que je mourais d’envie de capturer pour moi. Je sentis son corps se rapprocher du mien, imperceptiblement, sa main se cogner à la mienne, une fois, deux fois, trois fois, sans qu’aucune accepte de reculer ni de se saisir de l’autre. Nous arrivâmes au fleuve et mon souffle était rauque d’admiration contenue et de frustration sourde ; j’observais, toujours en silence, ces mains qui me flambaient offrir des cailloux au tumulte. C’est alors qu’elle se tourna vers moi, les yeux graves.

– On a abandonné les autres, déclara-t-elle.
– Oui, répondis-je. Il n’y avait rien d’autre à dire.
– Ce qui est curieux, ajouta-t-elle pourtant avec une drôle d’hésitation, c’est que je m’en fous complètement.

J’évaluai à trois centimètres et demi environ la distance entre nos deux nez.
– Oui, répondis-je. Ses lèvres sur les miennes allumèrent le feu d’artifice.

On a eu beau faire de notre mieux, Lula et moi, on n’a guère tenu plus d’une semaine ensemble. Mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte, c’est que, de ce jour là, je ne suis plus jamais retournée dans le placard.

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  • La chute est vraiment bien trouvée , j’ai bien aimé la façon dont c’était amené, je comprends pas qu’il y ait si peu de votes alors j’en ai placé un ;]

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