Il se fait tard. La nuit commence à tomber doucement sur Marseille. La ville se teinte de rose, de bleu et de jaune. Elle est assise, comme beaucoup de gens, dans le tramway qui la ramène chez sa grand-mère. Elle se voit dans une vitre. Elle y voit un fille blonde, aux cheveux courts et bouclés de manière épaisse. Elle c’est moi. Ou peut être que moi c’est elle. Je ne sais pas trop qui de moi ou elle est la plus puissante, mais là n’est pas la question, puisqu’au final, nous ne sommes qu’une.
Moi c’est Anna, , blondinette aux yeux étrangement marrons. Moi c’est donc elle. Il est dix-huit heures, elle rentre de son stage. Le tramway n’est pas plein et elle a trouvé facilement un siège ou s’assoir. Elle est dans sa bulle, dans son monde, coupé des autres par un épais rideau de musique et de cheveux. Elle lit un livre, elle lit « Terminal tout le monde descend » de Susie Morgenstern coécrit avec sa fille. Et puis, au fil des mots, son esprit vagabonde. Elle pense au manuscrit qu’elle doit absolument finir de corriger pour le lendemain, elle pense à ce qu’elle devra faire dans la libraire où elle est en stage, elle pense au week-end avec ses amis pour fêter son anniversaire, elle pense au repas du soir, à ce qu’elle va regarder à la télé, au salon du livre où elle doit se rendre avec sa tante…et de fil en aiguille elle finit par penser à elle, à son avenir, à New-York cette ville magique, ce rêve qu’elle ambitionne mais qui est si douloureux à atteindre, à ses livres.
Et puis elle observe. Elle ne lit plus depuis un moment déjà mais elle garde le livre ouvert et les yeux baissés dessus pour qu’on ne la voit pas. Elle tente de disparaitre. Elle ne sais pas si elle y arrive. Après tout dans la lumière crue des néons ses cheveux teints en blond plus que blond doivent se voir de loin. Mais elle garde obstinément la tête baissée, pour cacher ses grands yeux noisettes très, trop maquillés, diraient certains. Tout le monde lui dit qu’elle est jolie. Elle n’en croit rien mais elle répond « Merci beaucoup. C’est très gentil ». Mais elle n’aime pas attirer l’attention, elle veut juste qu’on la laisse libre, tranquille d’écrire dans son coin et d’observer le monde à travers ses yeux étranges et son cerveau tout aussi étrange.
Et voici ce qu’elle voit. Il y a un jeune femme à l’air soucieux, qui téléphone en fronçant les sourcils ; et qui explique calmement à son interlocuteur que « non maman l’anorexie c’est une maladie, pas une passade. », pendant qu’un petit garçon s’accroche à elle pour ne pas tomber chaque fois que le tram s’arrête.
Il y a plusieurs vieilles dames qui montent et qui courent pour avoir une place. Place qu’elles veulent parce que justement elles sont sencées avoir du mal à se déplacer.
Il y a une maman qui joue avec ses filles pour les faire patienter
Il y a des gens qui ont du mal à utiliser leur ticket et qui n’ont pas compris que les machines à composter se trouvaient sur les quais et non pas dans le tram. Elle pourrait les aider mais elle a appris à ses dépends que souvent les gens ne veulent pas qu’on les aide alors elle se tait.
Dans ce tram il y a aussi des gens qui parlent fort dans leur téléphone et dont, de fait, elle apprend la vie détaillé. Il y a aussi des gens comme elle qui lisent, des jeunes qui la regardent avec intérêt ou avec curiosité, des cailleras qui s’interpellent pour se donner un contenance, des petites minettes qui déballent leurs sacs de shopping devant leurs copines en poussant des petits cris excités ou qui téléphonent à maman pour détailler le contenu des sus mentionnés sacs de shopping alors qu’elles vont voir leur mère à l’instant où elles vont descendre du tram, mais non ça n’attend pas. Il y a des gens à l’air fatigué qui regardent par la fenêtre pensifs, qui écoutent de la musique, qui triturent leur téléphone. Le sien vibre dans son sac. Elle le sort et tapote dessus une fois ou deux pour que le message s’affiche. C’est la petite sœur qui demande où elle est, parce que la grand-mère s’inquiète. Elle répond à toute vitesse qu’elle est dans le tram et qu’elle arrive. Puis elle range le téléphone dans son sac. Et elle se remet à lire. Et puis soudain c’est le déclic.
Elle ne saura jamais vraiment si cela vient du livre qu’elle lit, de la musique qu’elle écoute, de l’ambiance mais soudain, brutalement, comme à chaque fois, elle a une idée, une idée de livre. Elle se la répète inlassablement pour ne pas l’oublier. Elle va écrire un livre avec trois cent soixante six courts chapitres, un par jour pour une année quoi. Chaque chapitre sera une action du quotidien. Et le premier parlerai d’elle dans les transports en commun et il commencerai comme ça :
« Il se fait tard. La nuit commence à tomber doucement sur Marseille. La ville se teinte de rose, de bleu et de jaune. Elle est assise, comme beaucoup de gens, dans le tramway qui la ramène chez sa grand-mère. Elle se voit dans une vitre… »
à 21 h 30 min
Un bon moment de lecture, ces instants de vie dans le tram m’ont rapelle des souvenirs parisiens. J’aime ces ambiances et tu les decris tres bien dans ton texte.