Je roulais en direction de la montagne qui donne une vue imprenable sur la ville blanche d’Agadir et sa baie. Je testais ma nouvelle acquisition : une « Audi A5 » noire toutes options au nom de la société. Je conduisais à toute allure. Je venais tout juste de déserter mes alliés de la nuit. La musique me tapait sur les nerfs et je n’étais plus d’humeur à m’abandonner dans ces tourbillons d’illusions. La vodka n’avait pas su me contenter, je me sentais à l’étroit et j’avais besoin d’air. J’avais une envie terrifiante de blanche mais je m’étais juré de ne la consommer que le week-end. De toute manière, il était hors de question de rebrousser chemin.
J’aime la nuit, particulièrement à cette heure où elle est dans la plus belle de ses parures : profonde, elle brille de tous ses accessoires, et même les nuages décident par pudeur de lui laisser faire sa parade. La lune, quant à elle, en maitresse de cérémonie apprécie le ballet étoilé.
Je n’étais plus en captivité. Je m’affranchissais de mon statut quo pour quelques heures. Je désirais avec impatience étreindre l’air maritime du haut de la montagne. Le col routier était très étroit mais la peur était devenue mon amie. Arrivé à destination, je n’étais pas le seul à avoir eu cette idée. De nombreuses voitures étaient alignées. Des individus solitaires enfoncés dans leur siège entamaient leur énième canette de bière. Chaque poste de radio avait sa préférence : de la musique populaire (Chaabi) pour les uns, du raï pour les autres et des slows des années quatre-vingt pour les amoureux qui n’allaient pas tarder à quitter cet endroit, trop peuplé d’hommes perdus à leurs goûts.
C’est exact, nous nous sommes égarés en cours de chemin.
Là, c’était palpable ! L’endroit transpirait la mélancolie! La beauté du site dans cette nuit électrique absorbait les désespoirs. J’étais venu moi aussi lui déverser mon lot de détresse.
Les signes extérieurs pour ma part sont trompeurs si l’on s’attarde sur mon profil :
-Fils d’une des plus grandes fortunes de la région,
– études de commerce à l’étranger,
– emploi à responsabilité (limitée) dans une des boites de papa,
-Femme de ménage à disposition (et autres),
-Nouvelle voiture à plus de 400000 dirhams,
-Maison familiale en bordure de mer pour les week-ends,
-tension entre frères et sœurs,
-mort de maman de longue maladie,
– beau garçon qui commence à avoir les prémices d’une tête de toxico !!!
Non il n’y avait rien à redire, j’avais le profil du parfait fils de riche. Je nageais dans des bains de suffisances !
Mais comme tous ces hommes alignés, je m’invitais à eux pour partager mes tristesses avec la boisson. Je sortis de ma boîte à gants de petites bouteilles de whisky que l’on sert dans les avions. Je les enchainais l’une après l’autre pour rattraper la concurrence qui m’avait devancé. Après une heure environ, des signes de changements de relais donnait l’alerte au ciel : madame lune et ses petites étoiles devaient bientôt passer leur tour. L’air marin n’avait que faire des couleurs du ciel, il travaillait sans relâche à mon bonheur ! Je compensais mes états d’ivresse en accueillant cet iode avec grand enthousiasme. Soudain, tous les minarets répondirent présent à l’appel de l’aube. On était encerclés par toutes ces voix en écho. L’auto à ma droite coupa le son de sa musique en signe de respect, d’autres par contre l’augmentaient pour ne pas y penser ! L’appel à la prière, en état de défonce, me donnait des sueurs froides. C’était aussi le signal de déguerpir car le soleil n’allait pas tarder à se lever et il fallait maquiller mon état et prendre une bonne douche pour faire semblant toute la journée.
Je démarrais et repris le même parcours en sens inverse. J’appuyais nerveusement sur le champignon. Mon cœur se serrait et l’anxiété frappait vigoureusement à ma porte. Des idées noires m’envahissaient. La voiture obéissait aux ordres. J’accélérais à tout va. Pourquoi ne pas sauter dans le vide ! Ce serait la chose la plus spectaculaire que j’aurais fait de ma maudite vie ! Une fin à la James Dean ! Je ferais mon acte rebelle ! Je vivrais enfin ! Allez courage ! Saute ! Et l’affaire serait pliée ! Allez vas-y! Puis je levais la tête au ciel ! Un signe bon sang ! Je criais des lames pointues qui me poignardaient ce qu’il me restait de cœur. Même la mort je ne la méritais pas.
Je grillais tous les feux pour me consoler de ma trouille. Et puis à une intersection à cinquante mètres de l’entrée du port, je percutais une mobylette.
L’individu rencontra mon pare-brise pour retomber au sol. Un son mortuaire. Pris de panique, je fis marche arrière, donnai un coup de volant et quittai les lieux.
Mais qu’est-ce qui tombe sur mon destin !
La voiture atteignait les 220 km/h, j’étais bien loin là ! Ouf !Tu t’en es sortis ! La lâcheté te va comme un gant. Il ne reste plus qu’à déposer ta voiture dans un entrepôt, en prendre une autre de rechange et l’affaire sera réglée. Qui m’aurait vu de si bonne heure à une vitesse où il est impossible de relever une plaque d’immatriculation et de deviner mon visage, toutes mes vitres étant fumées.
Aucune preuve, j’en étais sûr ! À moins qu’une auto de soulard derrière moi puisse m’identifier. Ils étaient plusieurs à m’avoir entrevu pendant au moins deux heures en haut de la montagne. Non, ils étaient bien trop saouls pour voir quoique ce soit ! Dans le pire des cas je pouvais prétexter un voyage en Europe de quelques semaines pour tasser l’histoire.
Quel âge pouvait-il avoir ? Que faisait-il à cette heure -ci? Peut -être un pécheur qui se rendait au port ? Avait-il des enfants à charge ?
Ma conscience arrivait à la surface. Je transpirais de tout mon être, une sueur acide, une sueur de condamné. Quand, dans ma triste vie, ai-je été un homme ? Constamment à fuir et accepter les règles du jeu de papa. J’étais un pion, un pantin articulé par l’argent. On respectait le nom de mon père mais mon prénom n’avait pas son mot à dire. Ma tête était en feu ! C’en était trop !
Je donnai un coup de frein sec à la voiture, fis demi-tour et pris la ferme décision de revenir sur les lieux du crime ! Par cet acte je décidai de m’affranchir et de prendre mes responsabilités. La peur me noua le ventre.
J’arrivai sur place. Une cohue avait déjà pris les lieux en otage. Des femmes sur le bord de la route pleuraient et s’agrippaient le visage et les hommes curieux s’approchaient pour constater le terrible accident. La victime, elle, étai allongée sur le goudron. Son visage était reposé, sans aucun signe extérieur en lien avec la collision, hormis un filet de sang pourpre qui s’écoulait de sa bouche pour s’étendre sur le sol. L’incident bloquait la circulation, les chauffeurs de taxi grinçaient ! Et moi j’ai abandonné mon véhicule à 100 mètres de l’impact et je me suis mélangé à la foule. Je guettais le moindre geste de la victime, elle avait l’air dans un profond sommeil, inerte mais sereine.
Je sortis une cigarette et me la mise au bec, je pense que je ne réalisais pas à cet instant la gravité des événements. Moi aussi j’étais en état de choc contrairement à la victime je n’étais pas zen, mais pris dans un cyclone émotionnel. Les premiers secours ont peiné à pointer leurs gyrophares. Après quarante minutes ils sont venus constater les dégâts. Le rouge de l’ambulance a créé un engouement sensationnel, la foule se multipliait à l’infini. Les balcons des immeubles bondés ! Un show où l’acteur principal est cloué au sol. Les pompiers se sont rués vers l’homme et ont constaté son immobilité. Leurs visages étaient refrognés, ils ont effectué des massages cardiaques, mais le gars ne semblait pas coopérer. La foule compatissait et scandait l’exhortation religieuse : « C’est à Dieu que nous appartenons et c’est à Lui que nous revenons. »
Moi au milieu, j’observais ce tableau tragique dont j’étais le peintre. Comment signaler ma présence ? Me livrer à eux : inconcevable ! Je serais lynché en plein public ! Que faire ? Attendre la police ?
Quand on parle des poulets on voit leurs insignes ! Une Kangoo rapplique gyrophare sur le capot. Deux policiers en tenues impeccables sortent de l’engin suivis d’un inspecteur vêtu d’un costume marron d’une allure nonchalante et entrent en scène. Aussitôt, la foule recule de quelques pas tandis que l’un des policiers fait la circulation pour décongestionner le trafic. L’autre somme le troupeau de circuler. L’inspecteur tourne autour de la victime, les mains dans les poches. Ses yeux se baladent dans tous les sens à la recherche du moindre indice. Il touche sa moustache grisonnante et sort de la poche intérieure de sa veste un calepin. Il gribouille dessus tout en arrêtant son regard perçant en haut de la montagne. Une civière vient d’emporter ce qu’on peut nommer à présent le cadavre.
à 12 h 14 min
Un texte saisissant dont on attend la suite avec une impatience non dissimulée.
La vie est faite de choix, que nous assumons ou pas. Il y a un mal être certain chez cet homme, qui cherche désespéremment à fuir sa vie qui semble toute tracée d’avance. L’air marin apaise autant qu’il enivre.