Leïla danse.
Au milieu des femmes de sa famille, des corpulentes voisines serrées sur les banquettes chamarrées, elle danse. Sur l’épais tapis de laine, entre les tables garnies de gâteaux et de verres de thé, elle danse.
Elle évolue, gracieuse, au son des rythmes orientaux.
De sa main ambrée, sur laquelle s’enroule une fleur dessinée au henné, elle pince un pan de son lourd caftan aux reflets moirés ; de son autre bras cerclé de bracelets d’or, elle serre contre elle son petit ange nouveau-né, enveloppé dans ses langes. Et elle danse.
Un an après, Leïla danse pour donner le change. Pour clouer le bec à toutes ces matrones venues voir comment elle avait remonté la pente. À toutes celles qui avaient osé lui dire qu’elle devait être forte et sécher ses larmes, qu’elle s’en remettrait, qu’elle était encore jeune et qu’elle aurait d’autres enfants, qu’elle oublierait celui que Dieu lui avait repris.
Mais Leïla n’oublie pas – comment le pourrait-elle ?
Elle n’oublie pas les yeux de sa petite fille mourante. Elle n’oublie pas l’hôpital, le dur combat mené pendant six mois, le moment terrible où le monde s’est brutalement arrêté dans ses bras, ces longues minutes où il avait fallu se résoudre à la lâcher… Elle n’oublie pas que dans sa main, il manque une petite menotte ; qu’à ses côtés, une place sera toujours vide ; que son fils ne connaîtra jamais sa sœur.
Non, Leïla n’a pas le cœur à la fête. Elle voudrait crier tellement elle a mal. Mais sa peine, personne ne veut plus l’entendre. Et ses larmes, personne ne veut plus les voir. Dans son pays, une femme doit se montrer forte. Alors elle ravale son chagrin. Et elle fait belle figure.
Patience… Dans quelques heures, les invités s’en iront et elle pourra abandonner ce masque absurde. Elle retrouvera son mari, lui aussi débarrassé des mêmes faux-semblants, et cramponnés l’un à l’autre, loin des convenances, ils pourront enfin laisser couler leur douleur.
Mais pour l’heure, Leïla s’efforce de ne penser à rien… « Regardez toutes ce que vous êtes venues voir ! Regardez comme la fille de Malika est forte ! Comme elle a été capable de surmonter son épreuve ! »
Elle accroche un sourire sur son visage et serrant son enfant contre elle, elle danse.
à 10 h 13 min
Belle et touchante histoire…
à 10 h 58 min
Merci…
à 14 h 13 min
Et une larme coule… Merci Marie pour ce moment chargé d’émotions…
à 10 h 52 min
Merci à toi d’avoir pris le temps de lire…
à 16 h 03 min
Ton texte est magnifique Marie, empreint de volupte, de grace et de cette tristesse que seules les meres qui ont donne et perdu la vie peuvent connaitre.
Un bel hommage a toutes ces femmes qui continuent d’avancer, le manque d’un etre a leurs cotes.
à 11 h 13 min
Merci Marie. La mort d’un enfant est une chose terrible, mais bizarrement, quand il s’agit d’un bébé, on dirait que les gens s’attendent à ce que les parents se remettent rapidement et tournent la page. Comme si c’était moins douloureux de perdre quelqu’un avec qui on n’avait fait qu’un tout petit bout de chemin. Ça n’a pas de sens. La douleur reste bien sûr. Ces parents-là apprennent juste à la garder pour eux puisque personne ne veut la voir.
à 11 h 26 min
Très beau texte !!!
à 12 h 45 min
Merci Catwoman…
à 22 h 14 min
Tout est exprimé dans ce beau texte soit à travers les mots, soit à travers les ambiances. Très réussi.
à 13 h 43 min
Merci Sylvie pour ce doux commentaire…