Elle poussa la porte entrebâillée derrière laquelle elle pouvait distinguer les ombres dansantes des flammes de bougies. Malgré ces dernières, l’obscurité de la pièce était trop importante pour pouvoir analyser la situation du premier coup d’oeil. Sa vue s’adapta petit à petit et elle put enfin distinguer quelques formes.
Elle venait de pénétrer dans une chambre. Un immense lit à baldaquin, dont les rideaux étaient fermés, lui faisait face. Les bougies, loin de donner un aspect romantique au lieu, avaient tendance à provoquer la chair de poule. Une fenêtre était entrouverte et si un brin de vent pouvait s’engouffrer dans la pièce, la ciel dénué d’étoile n’apportait aucun éclairage naturel supplémentaire.
Prudemment, elle s’avança sur la pointe des pieds. Son ouïe et sa vue semblaient lui jouer des tours, car si la luminosité de la pièce ne l’aidait pas, elle avait la sensation de percevoir uniquement des bruits étouffés. En tendant un peu plus l’oreille, elle comprit que certains d’entre eux provenaient du frottement des draps.
Ce lieu lui était inconnu. Elle ne parvenait pas à savoir comment elle s’était retrouvée devant cette porte. Hésitant à revenir sur ses pas, elle se retourna et constata que la porte s’était refermée par elle-même dans un silence complet et l’a trouva trop éloigné à son goût pour ne pas donner satisfaction à sa curiosité.
Elle se rapprocha du lit avec discrétion. Alors qu’il lui suffisait de tendre le bras pour attraper le rideau et découvrir ce qu’il cachait, elle préféra en faire le tour. Tentant ainsi de distinguer d’autres sons, des mouvements, des ombres qui auraient pu lui donner une indication sur ce que dissimulait ces rideaux. Cependant, rien ne transparaissait. Seul le bruit des draps se faisait de plus en plus oppressants en envahissant l’espace.
Après un moment de réflexion où elle hésita une dernière fois entre rebrousser chemin et poursuivre son exploration, elle se décida enfin à agripper le pan du rideau lui faisant face. Délicatement, comme si elle ne voulait pas effrayer ce qui pouvait se trouver derrière, elle l’écarta. Un lit immense, voir disproportionné, se dévoila. La luminosité ne lui permit de discerner que de vagues formes. Quelques minutes d’acclimatations furent nécessaire pour qu’elle puisse prendre conscience que ce n’était pas moins de 3 corps qui composaient les mouvements des draps et du matelas. Fatiguée de forcer sur ses yeux pour obtenir plus de détails, elle se décida à prendre l’une des bougies se consumant autour du lit. Elle la dirigea doucement vers ces corps.
Quand elle comprit ce dont elle était témoin, elle écarta brusquement sa source de lumière et étouffa un cri en se mordant l’autre poing alors que de la cire brûlante lui coulait sur le bras. Elle mit un temps à analyser et à accepter sans rougir la scène qui prenait vie sous son regard. Intérieurement, elle s’indigna de sa propre bêtise et naïveté. Après tout, il ne fallait pas être un génie pour comprendre ce que pouvait donner le bruit du frottement des draps avec trois corps sur un même lit… Telle une voyeuse un brin perverse, elle continuait de fixer ces deux hommes et cette femme en train de faire l’amour. Elle ne parvenait pas à détacher ses yeux de l’ondulation de leurs corps. Si elle voyait parfaitement leurs mains, leurs bras ou leurs jambes, leurs visages, par contre, restaient hors de sa portée. Comme hypnotisée, elle resta un long moment sans bouger et mit un certain temps à réaliser qu’une flamme dansait au niveau de son visage de l’autre côté du lit. Derrière cette nouvelle source de lumière, elle distingua les traits anguleux et blême d’un homme au sourire carnassier. La blancheur de ses dents reflétaient la lumière émanant de la bougie et parvint même à l’éblouir quelques secondes. Sans se soucier de la présence inopportune de la spectatrice, il se rapprocha des trois autres corps. Il les observa tel un prédateur et dirigea sa bougie vers leurs visages.
Un haut-le-cœur et de légères convulsions s’emparèrent de son corps, ce qu’elle venait de découvrir était au-delà de tout ce qu’elle avait pu imaginer. Si les draps étaient la seule source sonore de cette scène, c’était parce que chacun des trois protagonistes avaient leurs bouches cousues par du gros fil noir. Mais l’horreur ne s’arrêtait pas là puisque leurs yeux aussi avaient subi le même sort.
Après avoir repris le contrôle de ses émotions, elle observa la scène avec encore plus d’attention. Si le dégoût l’envahissait de toute part, elle constata cependant que loin d’être trois victimes d’un jeu pervers et morbide, le trio semblait accepter son sort avec délectation. Elle voulait réagir, mais par où commencer et surtout que faire ? Alors qu’elle tentait de trouver une réponse à ses questions, le troisième homme posa sa bougie et s’approcha de l’un de ses congénères. Elle distingua dans sa main un petit ciseau avec lequel il coupa l’une des coutures de la bouche de sa victime-esclave consentante. Il prit ensuite sur la table un tube à essai dans lequel reposait un liquide légèrement teinté de jaune. Il attrapa l’homme par les cheveux, pencha sa tête en arrière et l’autre, sans se rebeller un seul instant ou même interrompre ce qu’il était en train de faire avec ses deux partenaires, accepta le liquide inconnu qu’on lui versait par le petit espace que le fil coupé laissait apparaître dans sa bouche.
Comme si rien ne s’était passé, il continua à forniquer avec les deux autres. Son regard se fixa alors sur cet homme, elle ne pouvait s’en détacher et une terreur l’envahit quand elle aperçut du sang s’écouler entre ses lèvres. L’homme fut ensuite gagné par des convulsions et se laissait lourdement tomber sur le côté du lit. Elle venait d’assister à un meurtre et sentait sa respiration s’accélérer tout comme les battements de son coeur. Incapable de bouger, elle ne put que constater avec surprise et répulsion que les deux autres poursuivaient leurs affaires sans se soucier du cadavre à leurs pieds. Ce n’est qu’au moment où le tortionnaire souleva un deuxième tube à essai, qu’elle trouva la force d’hurler « Non ». Son cri résonna dans toute la pièce, l’homme aux tubes la fixa et les deux autres s’immobilisèrent dans le lit. Avant qu’elle n’ait pu faire quoi que ce soit d’autre, elle sentit un étau l’enserrer. Incapable d’effectuer le moindre mouvement, la panique s’empara d’elle quand elle comprit que le meurtrier était celui qui l’empêchait de bouger. Il prit son visage à pleine mains et alors qu’elle tenta tant bien que mal de se débattre, il versa le contenu du nouveau tube à essais dans sa bouche. Il maintint ses lèvres closes pour l’obliger à avaler. Un goût de sang emplit sa bouche et alors que l’étreinte autour d’elle se relâchait, un filet rouge et chaud s’échappa le long de ses lèvres et de son menton.
Elle sentit les convulsions arriver et alors qu’elle perdait le contrôle de son corps, elle entendit au loin une voix résonner dans sa tête :
« Maman, appelle le docteur ! Ely fait une crise ! Dépêches-toi, je pense qu’on la perd…. »
Ce n’est que bien plus tard qu’elle rouvrit les yeux. Allongée et entravée sur un lit inconfortable, Ely fixait la lézarde qui se dessinait dans le plafond blanc au-dessus de sa tête. Des murmures se faisaient entendre autour dans la chambre. Son corps était inerte et si elle ne clignait pas des yeux occasionnellement pour humidifier ses globes oculaires, on aurait pu la croire morte.
Un homme en blouse blanche, son docteur, se pencha au-dessus d’elle pour l’observer. En voyant ce visage anguleux apparaître dans son champ de vision, elle se mit à pousser des hurlements hystériques en se contorsionnant sur son lit. La chambre aseptisée se vida d’un seul coup et si le docteur, sa mère, sa soeur et une infirmière l’observaient derrière une petite vitre, Ely continuait d’hurler à pleins poumons…