Elle se réveilla, étourdie de son rêve. Mais ce n’était pas un rêve.
Il était bien là, affalé sur le fauteuil en face de son lit. Lorsqu’elle s’est écroulée quelques heures plus tôt c’est bien lui qui l’a soulevée et portée jusqu’à ce lit tâché qui sentait le rance et la terre humide. A présent elle était presque nue sous son drap trempé de sueur, seul son slip noir cachait ce qui lui restait d’intimité.
Il l’avait déshabillée ! Malgré sa faiblesse ses tripes se nouèrent de honte. Cet homme qu’elle connaissait à peine, qui lui avait semblé dur voir brutal, ce monstre de virilité comme on n’en voit plus, l’avait déshabillée et allongée là et était resté auprès d’elle. La chaleur moite était lourde, suffocante, insupportable. La végétation était tellement dense autour de la case qu’elle interdisait tout passage à la fraîcheur de la nuit et bien sûr l’électricité n’avait pas atteint ce monde perdu dans la jungle pour animer l’habituel ventilateur et le néon au plafond. La petite flamme d’une bougie presque entièrement brûlée faisait vaciller des ombres noirs dans la petite pièce. Les moustiques assoiffés dansaient leur folle ronde autour de la moustiquaire et de la bougie. Les crapauds, les oiseaux et les insectes de la nuit faisaient entendre avec rage leurs appels étranges et étonnamment assourdissants.
Elle avait besoin d’eau, d’un semblant de frais. Elle se leva silencieusement, ramassa la bougie et se dirigea doucement vers une plus petite pièce de béton. Plongeant une coupe en plastique dans le seau d’eau que leur guide avait du remonter de la rivière, elle se rinça le corps. L’eau à peine fraîche la fit tressaillir. Les nombreuses images fortes de ces derniers jours filaient dans son esprit.
Comment s’étaient-ils retrouvés là, seuls dans cette forêt ? Ils avaient quittés la base et le petit laboratoire vétuste habituel pour partir à la recherche de ce village de Gbakima, en plein cœur de l’enfer vert, là ou les chasseurs étaient en proie à une terrible épidémie d’origine inconnue. Ils avaient marché six heures durant, suivant leur guide dans cet environnement hostile, luttant contre les plantes aux feuilles tranchantes comme des petites lames de rasoir et contre les insectes vampires suceurs de sang. Les traces de ce combat se lisaient à présent sur sa peau. Ses chevilles et ses bras étaient lacérées, ses jambes parsemées de plaques rouges et son cou et son décolleté étaient noirs de crasse.
Demain il ne leur resterait qu’à parcourir les trois heures de pirogue sur la rivière d’eau noire qui les séparaient du village. Bien que moins physique, d’autres combats l’attendaient. Les Tsétsés lui voleront eux aussi du sang, l’attaqueront sans répit à travers ses vêtements. Le soleil au dessus de la rivière sera sans pitié sur sa peau trop blanche. Elle savait aussi ce qui l’attendait à l’arrivée. Plus qu’aux malades, elle pensait aux animaux morts, dépecés et dont les peaux séchaient devant toutes les cases du village. C’est à l’arrivée au campement au bord de la rivière qu’elle s’était effondrée sous la fièvre. Sans doute un accès palustre. Elle en reconnaissait les signes habituels. Le plus ridicule d’entre eux à ses yeux étant celui de se sentir mourir de froid en plein cœur de l’Afrique équatoriale. Elle pensa aux milliers de parasites qui éclataient un à un ses globules rouges. Elle songea à l’insalubrité de ce semblant de salle de bain. Elle regarda la foule d’insectes morts et vivants qui l’entouraient. L’énorme araignée menaçante au plafond, les deux cafards gisants dans un coin et les centaines d’autres fourmis, papillons de nuits ou petits animaux qu’elle ne pouvait identifier. Certains flottaient dans l’eau qu’elle utilisait pour se rincer de la marche du jour et des suées de sa demie-nuit mais peu lui importait. Chacun des plus petits mouvements de son corps la faisait doucement souffrir. Prenant garde à ne pas trop se sécher, elle s’enroula dans sa serviett e et retourna dans la chambre.
Il était réveillé, il était debout et il la dévisageait légèrement inquiet. En deux pas il était face à elle. Il lui posa la main sur le front. « Bien, la fièvre est tombée », dit-il. A nouveau elle frissonnait. Elle n’avait pas froid, elle n’avait pas chaud, elle n’avait plus mal. Le souffle court, le pouls tambourinant elle ressentit la faim du ventre. L’odeur enivrante du mâle lui remplit les narines. Elle ne voyait que sa peau, son cou, son torse brute. Impossible de lever les yeux. Un premier baiser se voulut doux, curieux et explorateur. En une seconde ils n’étaient plus que deux corps enlacés, s’agrippant assoiffés l’un de l’autre, effectuant cette danse la plus connue de tous les animaux. Demain elle se retrouvera à nouveau face à la misère d’un village isolé, à la maladie, à la mort. Mais en cet instant précis elle était aussi vivante que possible. C’était ça sa chasse à elle. Elle traquait ces moments rares ou la vie vous submerge et vous consume. Ces moments auxquels quand on y repense même des années plus tard, vous font encore rater un battement de cœur, une respiration. Elle n’était pas là pour sauver le monde. Elle était là égoïstement, pour se gaver de passion, de sensations, de vécu.
C’était mieux qu’un rêve… c’était la vie à l’état brute.
à 13 h 42 min
Ouah, c’est magnifique… Comme je te retrouve là !!!
L’Afrique, la passion… Et dis tu écris superbement bien !!!
à 15 h 20 min
ooo merci ma chérie, je suis trop contente que tu aimes!
à 19 h 02 min
La vie a l’Etat Brut c’est tout a fait ce que j’ai ressenti en lisant tes lignes. Exotique mais surtout si reel, si vrai. Je n’aurais pas aime me perdre dans cet endroit mais ton texte le rend tellement vivant que j’ai presque eu l’impression d’y etre l’espace de quelques instants.
à 0 h 12 min
J’ai vraiment voyagé à travers ton texte, tu écris super bien! chapeau :))
à 14 h 44 min
J’ai beaucoup aimé l’ambiance moite de ce texte… Les trois dernières phrases donnent une puissance au texte, à son atomosphère, à son personnage… Lui passe au second plan, flou, sans visage… Qui est-ce ? (le saurons-nous un jour ?) Ce genre de texte laissant le lecteur libre de son imagination, c’est chouette je trouve 😉 et frustrant un peu quand même
à 1 h 24 min
Merci FleurDeMenthe! Je suis ravie d’avoir réussi à faire passer ça.
Je ne pense pas que ce soit important finalement le « qui », du moment que la chimie fait son effet dans ce contexte, la nature. surement que je suis moi-même frustrée de ne pas savoir qui IL est 🙂
C’est fou comme on peut voir les rêves ou les cauchemars des auteurs dans tous ces jolis textes !