Quel étonnant titre, n’est-ce pas ? Surtout lorsqu’il est associé à une illustration de Pierre Mornet, que j’adore depuis toujours, et dont les dessins me font toujours étonnamment vibrer. Qui est Héloïse ? Est-ce une femme atteinte d’un cancer ? Un bébé qui n’a pas encore de cheveux ? Pourquoi la couverture représente une petite fille et une jeune femme, au même visage, et à la chevelure brune abondante ? Ce livre ne pouvait que m’interpeller, surtout qu’on m’avait dit « toi qui aimes les mots, tu vas aimer ce livre ». Je l’ai commandé, dévoré, mais pas encore digéré je crois.
Dès le début, Émilie de Turckheim nous plonge dans son univers de mots qui se démultiplient, s’additionnent, de phrases circonvolutoires qui font penser que dans ses pots de bébé, ses parents y avaient dilué un peu de Proust par-ci par-là. On ne sait pas bien où on se trouve, on ne comprend pas ce qu’il se passe, tout a l’air flou mais avec une quantité de détails tels qu’on a l’impression d’être une caméra filmant chaque chose avec précision. Dans les premières pages, j’ai ressenti une boulimie de mots, une overdose explosive de phrases et d’expression : on m’en a mis plein la vue pour mon plus grand plaisir, et je me suis vraiment sentie plongée, happée par cette histoire si fascinante dans son étrangeté.
Héloïse, c’est un bébé d’abord, que l’on voit grandir tout au long du roman. Dès sa naissance, elle est amoureuse de Lawrence, l’obstétricien qui l’a fait naître. Il n’est pas n’importe qui d’ailleurs, puisqu’il a été l’amant de nombreuses femmes de l’entourage d’Héloïse. Elle est prête à tout pour le voir, qu’il la touche, qu’il lui parle. Alors souvent, elle fait exprès de se faire mal, de s’ouvrir le crâne ou le genou, juste pour qu’il la soigne. Son amour obsessionnel ne fait que croître avec l’âge et avec l’arrivée de la puberté et des premières expériences de la sexualité. A 13 ans, elle est prête, elle ressemble enfin à un petit bout de femme, elle est prête à se donner à lui. Les élucubrations d’une petite fille amoureuse de son papa ou d’une figure paternelle forte est franchement un thème récurrent, mais ne croyez pas qu’Emilie de Turckheim s’arrête là. Par une grande ingéniosité de l’écriture, elle parvient à nous faire trouver normal, voire touchant, cette relation incestueuse qui nait entre Lawrence et Héloïse. Restez plongé dedans, vous trouverez ça très beau, prenez un peu de recul et ça sera le dégoût assuré. Cela m’a fait réfléchir à l’écriture : on peut tout faire accepter, même l’inacceptable, si c’est écrit d’une certaine façon… terrible, non ?
Le personnage d’Héloïse est complètement incernable, on ne sait pas si on doit l’aimer ou la mépriser, une fois adulte. Elle sait ce qu’elle veut, et elle fera tout pour l’avoir, qu’il s’agisse d’un homme de 30 ans de plus qu’elle ou autre chose, c’est elle qui aura le dernier mot, malgré tout et tout le monde.
Un roman que je ne digère toujours pas bien, mais que j’ai tout de même apprécié de lire. Il est tellement empreint de poésie que d’un point de vue littéraire, c’est un beau livre.
« Sur le ponton exténué, immobile, Héloïse, longue, après le déjeuner, un pied dans la Méditerranée, pierres précieuses à la crête des vaguelettes, miroitement calme et mortel, ongles carmins, lunettes noires, bouche entrouverte, rouge cerise, sirop de menthe lascive, gouttes d’eau le long du verre, langues passées sur les lèvres, nombril à la respiration profonde, qui se hausse et s’affaisse, dans la chaleur vacante de juillet, petite culotte rouge, diminutif de maillot de bain, achetée ce matin au marché de Cargèse, parfum bouillant du maquis, cheveux blondis par des rayons droitset le sel marin, dispersés, angéliques, sur la serviette blanche, rectangle de neige dans la fournaise lente et silencieuse de l’heure de la sieste, jambes adolescentes, duvet de poils d’or, transparents, bras remontés comme dans un bâillement, aisselles en sueur perlée, seins, à peine, gonflement sexuel aux pointes roses érigées vers le bleu du ciel, immaculé, presque, un seul nuage surplombant l’autre côté de la baie, coton de chantilly, crème solaire au monoï de Tahiti, hors-bord en acajou amarré au ponton, perfection du cou, épaules polies, deux galets dans l’eau vive du torrent, brises de romarin, ombres malfaisantes entre les cuisses d’Héloïse, nonchalantes, espacées par la folie et sa main glissée, pins parasols vert nuit découpés dans le ciel de son treizième été. »
Ne s’y croirait-on pas ? Le réalisme et la simplicité de ce passage me fait frissonner. Ne dirait-on pas une description extrêmement précise dans un scénario de film ? Cette auteur a 9 an de plus que moi, et 3 romans derrière elle.
Pour l’histoire, on aime ou on n’aime pas, mais le pouvoir fascinatoire que l’auteur parvient à exercer sur nous est presque gênant… J’adorerais lire d’autres avis en tout cas !
à 19 h 59 min
J’avais envie de le lire et une fois encore, je pense me laisser tenter. Je te raconterai!
à 20 h 15 min
Livre lu… ce matin!!
Je suis assez d’accord avec ton avis… difficile à digérer!
Il y a un style bien particulier, quelque chose de nouveau, de non déjà vu..
Mais j’ai été dérangée vraiment et profondément (peut être est ce la volonté de l’auteur) par Héloise, cette ambiguite autour de l’enfance, de l’inceste presque, de relations finalement malsaines.
J’avais vu l’auteur en conférence au salon du livre, cela m’avait donné envie de lire ce livre…
Je suis cependant vraiment perplexe, je crois que j’ai besoin d’avoir un peu d’empathie pour les personnages d’un roman (même le pire tu trouves toujours quelque chose), or là j’étais trop mal à l’aise pour aimer un tout petit peu Héloise..
Bref, sentiment étrange!
à 21 h 17 min
Et bien, moi je pense que je passerai mon chemin… Cela me fait penser à un film que je voulais absolument voir il y a quelques années « 2h37 », et qui avait fini par me traumatiser…
à 12 h 10 min
Je découvre l’auteur et le livre .. malgré tes petites réticences, je pense que je lirais .. l’histoire m’interpelle même si, à quelque part, j’en ai un peu peur.
à 18 h 12 min
Intrigant, attirant … j’ignore si je me laisserai tenter mais le mystère qui entoure ce livre me donne tout de même envie de prendre le risque de le découvrir. Même si je sais que je n’en sortirai sans doute pas indemne.